« Il y a une géographie amoureuse qui vaut les cartographies guerrières » Amélie NOTHOMB.
La voiture de Franck klaxonne. Je sors lui ouvrir le garage.
— Et la journée ?
— Agréable.
— Comment vont les enfants ?
— Bien. Ils dorment déjà.
« On aura donc la nuit pour nous seuls », continue mon mari en sortant du véhicule.
Il sourit et me donne une bise sur le front. On entre au salon et je le débarrasse de sa serviette.
— Tu m’aides à enlever mon costume ?
Ce que je fais comme chaque soir dès son retour. Nous dinons en suivant la télé. Il zappe un bout de match de PSG-St-Etienne avec un commentaire dormant de l’ancien lion indomptable. Sur A+, prend fin l’ultime épisode de La maitresse d’un homme marié. Franck débouchonne le Saint Emilion que j’ai mis à chambrer. Nous avons trinqué à la santé et à l’amour.
— Santé, Andréa !
— Santé, Franck !
Les bulles dorées volètent, or et jaunes, dans verre de cherry. Il m’observe sur un moment. Repose sa coupe et m’interroge :
— Tout va bien, ma jolie ?
— Ouais, mon cœur.
Il boit une gorgée. Repose le verre.
— Certaine ? Je ne te sens pas.
— Oui oui Fran Fran Fran Franck, ai-je bégayé.
Il zappe encore. Sur Canal+ Sport 3, un monsieur, bandeau sur la tête, émet de légers gémissements en frappant dans un tennis sur un terrain argileux. Eh Nadal ! chuchote Franck. Ça parait ennuyant. Il zappe derechef. Sur Novelas TV, passe le générique de La Dona. Il laisse la télécommande, se lève et vient me caresser les épaules sur ma chaise. « Tu peux te confier, mon amour ».
J’ai ressenti une agréable sensation au contact de ses douces mains. Ce qui me rappelle vaguement l’effet des massages Thaï dont fait tellement l’éloge Audrey, ma petite sœur, revenue de Thaïlande, il y a quelques mois. J’ai eu des frissons qui m’ont transie jusqu’aux os. Ce qui me désamorce totalement. Je me suis sentie fondue comme de la glace au soleil. Je racle la gorge et le regarde dans les yeux :
— J’y vais donc, puisque tu insistes.
Il y a une seconde de flottement. Un relent de viande grillé passe devers la pièce.
— C’est maintenant que je reconnais ma femme, celle dont je suis amoureux et celle qui m’a fait deux magnifiques enfants.
Je ressens qu’il est légèrement stressé compte tenu de mon état et de l’inconnu. Je me dis peut-être que dans sa tête, il se posera moult questions :
— Andréa est à nouveau enceinte ?
— Les enfants ont-ils eu des soucis à l’école ?
— Ma femme a-t-elle décroché ce contrat à l’ambassade des Etats-Unis qu’il l’amènera à voyager pour une longue durée hors du Togo comme ça a été le cas au début de notre relation ?
— Quelqu’un est malade ?
Nous avons quitté la table à manger pour nous allonger dans le sofa kaki en face de la télé. Une lumière sans source émane du pot de fleurs sèches. Je me recroqueville davantage contre lui. Je me racle la gorge une fois encore : « Franck, tu sais, ai-je commencé, je me sens de plus en plus abattue par le travail domestique. Le ménage, la lessive, la cuisine, les enfants à entretenir… Je sais très bien qu’au départ, c’est moi-même qui étais contre cette idée. Sauf que là, je pense sérieusement que j’ai besoin d’aide ».
— C’est juste ça le souci ? Moi qui croyais que quelqu’un était mort ?
— Loin de là, Franck. En plus, tu vas m’arrêter tes blagues là.
— C’est la moindre des soucis, Andréa. As-tu déjà pensé à quelqu’un ? Elle commence quand ?
« Pas encore, justement. Des sujets aussi sensibles doivent être discutés ensemble d’abord, tu ne penses pas ? »
— Tu as tout à fait raison. Je donne mon accord. La personne que tu trouveras peut commencer même demain. Ton choix est mon choix, Andréa, a-t-il fini dans un sourire béat.
Je reviens dans 30 minutes. Je vais chez Thierry. Il m’a demandé de passer le voir pour une urgence, ce matin.
Lundi, 27 juillet 2020.
Et combien tes parfums sont plus suaves que tous les aromates !
Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée ;
Il y a sous ta langue du miel et du lait,
Et l’odeur de tes vêtements est comme l’odeur de Sogbossito, chante le jeune pasteur qui trône au milieu des marchands. Dans son costard noir, il transpire de partout. Tout ça me rappelle un recueil de poèmes de Renaud DOSSAVI. Chant de sables, je crois bien.
Un soleil d’enfer règne sur Lomé. La veille, il a plu pourtant. Autour de nous, l’univers est bruyant. Les gens vaquent dans tous les sens. L’odeur de poisson se mêle à celle des friperies. Ma montre n’affiche pas très exactement 11h 45. Je quitte maman au marché de Hédzranawoé pour la maison. Après avoir partagé l’idée avec elle, elle me met sérieusement en garde. « Ma fille, il faut bien faire attention. De nos jours, faire entrer un intrus dans ton ménage n’est pas une bonne chose. Il y a de petites sorcières partout à Lomé maintenant qui sont prêtes à briser les couples… »
— Stop, maman ! Ça, c’est dépassé. J’ai besoin de quelqu’un pour m’aider. Ça s’arrête là, ai-je fait dans un geste de lassitude.
Un courant nous fait parvenir Yo Pe d’Innoss B qui balaie les propos sulfureux de ma mère.
— C’est comme tu voudras. Tu es ma fille et je ne veux que ton bien.
« Bien sûr, maman. Je reste donc à ta disposition si jamais le service d’une bonne fait écho dans les parages ».
Je débloque à distance ma berline rouge et prends la route. L’asphalte semble saluer ma belle voiture que Franck m’a offerte pour mes 29 ans. Arrivée au carrefour 3K, mon téléphone sonne. Je me rabats sur le côté et décroche l’appel de ma mère. « On peut dire que tu as de la chance, ma fille. Ma voisine, Tina, celle qui vend des fruits à côté au marché, oui, Tina, elle a sa cousine qui vient d’avoir son bac et qui souhaite travailler pendant un an pour se faire un peu de sous avant de prendre le chemin du campus. Les temps sont durs, tu sais ».
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Et moi qui veux recruter une coulibaly !? Mon cœur sourit devant cette nouvelle.
— Tu la connais, maman ?
— Oui, c’est une petite fille très sage. Sa mère et moi sommes amies. Pour elle, je peux donner ma tête à couper. Tu as trouvé celle qu’il te faut, ma fille.
— Sûre, maman !?
« Rassure-toi ma fille. Une jeune fille très respectueuse. Je lui indique la maison et elle passera avec ses bagages ».
Puisse le Ciel faire que je n’engage pas une serial killer à la maison !
Au bout du fil, elle entre dans un marchandage sans fin avec un client. Ils se montrent, eux deux, intransigeants sur un reliquat de 200 F. Ah, cette vieille ! Elle n’a jamais appris à lâcher prise. OK ! Je le prends à 2 000, finit par accepter l’autre.
— Tu es là ?
— Oui, maman.
Dans l’écouteur, je l’entends boire un sachet d’eau. Elle tousse légèrement.
— C’est ça, hein. Elle passera. Tâche de voir ça avec Franck.
— Merci, maman.
L’espace d’une seconde, je sens une joie m’envahir.
La rencontre s’est bien déroulée. Nous avons donc eu un accord de principe et dès le lendemain, Carmen pourra commencer le travail. UN FAUX PAS DE SA PART RENDRA TOUT ÇA REDHIBITOIRE. Enfin presque. Je l’ai acceptée ad libitum.
C’est fait.
C’est simple comme bonjour pourtant.
Un peu biscornu, en passant !
Franck m’a aidée à aménager la chambre des invités au rez-de-chaussée. Pour une bonne, Carmen a presque tout. Une chambre avec salle d’eau attenante, un lit, une psyché intégrée, un salaire de 60 000 que Franck avait généreusement arrondi à 100 000 F. « Eh, ma chochotte ! Elle doit préparer son entrée à l’université, Andréa. Ne sois pas dure avec elle, s’il te plait » fait-il de son air infatué. Putain de don quichotte ! chante une voix dans mon esprit.
Six mois après…
Ce qui m’a le plus intéressée depuis l’arrivée de Carmen, c’est que l’ambiance a changé à la maison. En plus d’avoir un appétit lilliputien, elle est très économe. Elle fait impeccablement les achats si bien qu’elle revient à la maison avec des marges impressionnantes. Mes enfants ont appris à l’aimer tout de suite. Non seulement elle prend soins des enfants, elle les aide à lire, faire des opérations de calcul, de coloriage… Elle m’a éberluée. Franck, plus que moi. Nous l’apprécions in petto. Franck et moi sommes donc libres les weekends et multiplions sorties sur sorties. Restaurant Togonou arrosé avec Louis Roederer ; Restaurant Rumba arrosé avec Cristal ‘Gold ; Greenfield Space arrosé avec Brut Millésime ; O’Logde arrosé avec Dom Perignon ; Antovi Cantine inondé avec White Gold Brut ; Campus Plage arrosé avec Krug ; Maison Bleue, avec Orfèvres… Je ne pourrai rêver ménage aussi épanoui et fastidieux. Je tombe davantage amoureuse de Franck.
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Il sonne 2 heures. Une pressante envie me sort des bras de Morphée. Récemment un best-seller mondial a prétendu que les femmes se réveillent 3 fois pour uriner. Je chasse fissa cette idée à la noix de la tête. Mes oreilles croient entendre des bruits, non plutôt des raffuts venant du salon. Je me mets sur la pointe des pieds et j’ouvre la porte. (A suivre… Laissez moi un petit commentaire à la suite de la lecture…)